Déterminé, lumineux, dans ses principes et dans ses actes, Dominique Lacoudre taille sa route, depuis quelques années, dans le monde de l’art contemporain. Il tire droit comme un taureau dans un parcours ponctué de murs et semé de chausse-trappes. Avec son succès, car son entreprise, films vidéo, installations, dessins, depuis peu peinture, se construit avec une indiscutable logique : on ne saurait la résumer à l’autofiction, à la biographie.

 

Si l’univers qu’il compose lui est personnel, ses dessins, pourtant accompagnés de mots, éludent tout bavardages. Ils s’imposent par leur simplicité, comme le mille au cœur de la cible : l’intérêt actuel pour le dessin, tend pourtant à en gommer l’intention et le reste. Que reste-t-il de l’image ? Dans ses dessins, Lacoudre ne cherche ni candeur, ni démonstration, mais donne de la sincérité, un regard qui porte au-delà de lui-même. Ils ont le naturel de la cordelette posée sur un fond blanc. Peu d’angles, beaucoup de rondeur, pas de reprises. Le trait accueille parfois l’aquarelle. Des fragments de phrases sonnent comme des apophtegmes, comme des échos moqueurs de l’idée en soi. Le tout pourrait s’articuler comme un code de conduite, celui de l’individu au milieu des autres. Pourrait dire morale, car ce mot n’en est pas gros quand il s’agit d’éthique, de relation à autrui.

 

L’obstination existentielle des dessins - « peut-on choisir ses couleuvres ?  » l’illustre bien – croise, curieusement, la stratégie publicitaire, celle du mobilier urbain de Châtellerault. Après une expérience analogue à Auxerre (janvier – février 2005), avant Caen et Pessac, l’artiste s’intéressent aux sucettes qui abritent les affiches. Pour y placer les siennes. Effet d’annonce, effet d’invite. Ses réalités (sa réalité) tiennent en quelques lettres en suspension dans une boulle à neige elle-même flottant sur un fond de bulles multicolores. Le tout à l’état gazeux, coiffe le nom d’un site Internet : www.nousautre.com. Lacoudre établit le lien comme première préoccupation, pour partager ses conquêtes d’artiste. Son image, son altérité elliptique, se superpose à celle du spectateur, au lieu de « faire œuvre ». Lacoudre use de l’espace public pour établir un va-et-vient relationnel, poser les questions que nous nous posons tous. Il n’est certes pas le premier à l’avoir fait, mais la délicatesse du projet le rend immédiatement familier et étranger à l’agitation citadine.

 

Voilà ce que signifie j’habite ici, une place, ma place au milieu des maisons semblables des lotissements. Tracées à main levée, ces maisons sont moins confondantes de similitude. Dans cette « esthétique pavillonnaire », il y a le pavillon hissé haut, être vu et reconnu, mais aussi celui portant loin nos voix. Une affaire de conviction.

 

Dès lors, s’éclaire le rapport entre les panneaux voués à la communication, et les dessins, ressentis comme secrétions intimes. Les images multipliées par l’entremise des sucettes, offrent aux passants une stratégie contre l’adversité. Le petit bonhomme de Lacoudre, individu normatif et interrogatif, se fraie aussi un passage vers la foule, vers la société. Il s’évade du geste élémentaire du dessin qui isole la figure (les chlorures de Beuys, les encres de Marquet, les pisseurs de Dubuffet…). Les questions de Lacoudre invitent à gagner davantage de liberté. Marcher en ville, rend l’esprit neuf et disponible.

 

Qui plus est, il vous faut marcher comme un chameau dont on dit qu’il est le seul animal qui rumine en marchant. Quand un voyageur demanda à la domestique de Wordsworth de lui montrer le bureau du maître, elle lui répondit : « Voici sa bibliothèque, mais son bureau est en plein air ». (Henry David Thoreau, De la marche, 1862)